GRIPPE A : une réflexion philosophique qui pose les problèmes des épidémies dans nos sociétés

Publié le par jp guillerot

 
Prendre la grippe en grippe

Par Jacques Attali, publié le 03/09/2009 17:09 - mis à jour le 03/09/2009 17:30

 

Raymond Devos aimait poser la question de la différence entre une "bonne grippe" et une "mauvaise grippe". En agissant ainsi, comme toujours, il nous signalait l'importance des mots et de leur généalogie pour en comprendre le sens et définir l'action qu'ils impliquent.

Ainsi, la "grippe", dont on va tant parler, est un mot d'origine franque (qui a donné aussi l'allemand greifen, "saisir") venu, au XIVe siècle, désigner une sorte de griffe, de harpon, permettant d'accrocher telle chose. Il a donné les verbes «"gripper" et "gripper", voulant alors dire "empoigner" ou "freiner", qu'on n'utilise plus que pour signifier qu'une machine ou un mécanisme se "grippe".

Par extension, la grippe désigne aussi, à la même époque, un "caprice" qui nous saisit au hasard, d'où l'expression "prendre quelqu'un en grippe", pour signifier une subite et imprévisible aversion, comme si on l'attrapait au collet sans raison. Ce n'est qu'au XVIIIe siècle que cette expression vient désigner une maladie qui saisit brusquement le malade, affection qu'on désigne jusque-là, comme en italien, du nom d'"influenza", qui vient du bas latin influentia ("ce qui coule", qui a donné le "flux" en français et le flu, la "grippe", en anglais).

Toutes ces significations sont utiles pour réfléchir à la meilleure conduite à tenir face à la grippe à venir. D'abord, elles nous rappellent qu'il ne faut pas nous laisser "agripper" par la maladie, d'où l'importance de l'explication, qui reste à donner au grand public, sur les symptômes et sur les précautions à prendre. Ensuite, elles soulignent qu'il ne faut pas laisser la machine humaine et sociale se "gripper" et donc qu'il faut s'assurer que la société a de la redondance, de la résilience, une capacité à résister au choc. Autrement dit, qu'elle dispose de plusieurs moyens d'assurer les services essentiels, comme la distribution des principaux "flux" d'eau, d'énergie, de nourriture, d'argent. Et de cela nul n'est encore assuré. En France, en particulier.

Elles nous disent encore qu'il ne faut pas la considérer comme un "caprice", une circonstance de hasard, mais comme la conséquence d'une évolution logique de nos sociétés, lesquelles, avec la mondialisation, ne pouvaient plus éviter ce genre de dysfonctionnements, dont la grippe à venir n'est qu'une répétition, et qui peut prendre un jour la forme d'une maladie beaucoup plus grave, si nous ne mettons pas en place toutes une série de protections et d'indicateurs d'alerte. Elles nous annoncent aussi que des gens seront peut-être "pris en grippe", à cause de la maladie, si on en accuse tel ou tel groupe, comme le font ceux qui voient derrière l'épidémie la main des laboratoires pharmaceutiques souhaitant vendre des médicaments et des vaccins, ou des gouvernements soucieux d'écarter les critiques portant sur leur gestion de la crise économique.

Elles signalent enfin des transformations à venir, profondes, de nos sociétés, en révélant, comme en Nouvelle-Calédonie, la capacité d'une population à se prendre en main, ou, ailleurs, la façon dont on continue de traiter telle ou telle population (ainsi les femmes, qu'on veut renvoyer à la maison, pour garder les enfants), ou comment l'humanité devra prendre conscience de son unité, pour qu'elle ne se prenne pas elle-même en grippe.

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Publié dans Santé en France

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